"Je parle de manière générale pour les chanteurs, quand est-ce qu’on va nous sortir des beaux mecs, l’entend-on dire. Ou des filles sublimes ? Quand vous regardez Hoshi, par exemple, qui a un talent incroyable, indiscutable. Enfin, vous mettez un poster de Hoshi dans votre chambre, vous ? Mais elle est effrayante."
Non, vous ne rêvez pas, ce sont bien les propos tenus par le chroniqueur Fabien Lecoeuvre sur la webradio Arts-Mada le 7 avril 2021. Mais le chroniqueur ne s'arrête pas là et va jusqu'à proposer "qu'elle donne ses chansons à des filles sublimes, comme des Vanessa Paradis, comme il y a eu des Vartans." Si les propos passent sans problème à l'antenne, si personne ne le coupe sur le plateau, la tollé susciter sur les réseaux sociaux ne se fait pas attendre.
La chanteuse a relayé cet extrait sur Twitter avec cette légende : "Tellement grave de tenir ce genre de propos Fabien Lecoeuvre. On lui offre un poster ou un miroir ? J’hésite." Quelques heures plus tard, Fabien Lecoeuvre a répondu à cette publication pour s’excuser, expliquant avoir été mal compris : "Mille excuses pour ces propos maladroits sortis de leur contexte et qui ont pu te blesser. Je relatais simplement une différence d’époque où les maisons de disques et les publics faisaient beaucoup plus attention aux physiques des artistes qu’aujourd’hui."
Les visages de la beauté
On est ravies qu’il y ait enfin de la place pour des chanteuses comme Hoshi, comme Yseult, comme Suzane, comme Pomme, comme Aya Nakamura, comme Aloïse Sauvage. On est ravies qu’elles aient pu se faire une place, être reconnue par la profession et par le grand public, qu’on parle davantage de leurs chansons, de leurs performances scéniques, alors qu’elles sortent du schéma auquel on nous a habitué des décennies : des femmes souvent blanches, souvent minces, hétérosexuelles, répondant aux critères de beauté édictés par la société pour plaire au regard masculin.
Le beau est devenu un concept protéiforme. La beauté est relative aux cultures, aux époques, aux conventions. La beauté est plurielle, parce que définie par le plaisir esthétique qu’elle suscite, y compris là où ne l’attend pas. En 1993, l’artiste Orlan réalise l’une de ses performances les plus impressionnantes, Omniprésence, durant laquelle elle se fait implanter de la silicone au-dessus des arcades sourcilières par la chirurgienne new-yorkaise Marjorie Cramer. Orlan souhaite alors remettre en cause les normes de beauté et non ressembler à la Vénus de Milo ou à la Joconde comme le soulignait la presse de l’époque. Cette opération-performance sera diffusée en direct à la galerie Sandra Gering à New York, au Centre Georges Pompidou à Paris ou encore au Centre Mac Luhan à Toronto. Au travers de cette performance, elle montre que la beauté peut prendre des apparences qui ne sont pas réputées belles. Interrogée sur la notion de beauté lors d’une interview, l’artiste remet en cause l’idée de canon en déclarant :
“La beauté est à convoquer, ou elle se convoque, de nombreuses manières totalement différentes. Elle échappe à toute définition, à moins de se cantonner aux bonnes vieilles définitions sexistes et machistes sur ce que doivent être un corps et un visage de femme.”
Sublime Hoshi
La notion de subjectivité de la beauté ne devrait même pas être soulevée dans ce débat. D'ailleurs, l'on ne devrait même pas parler de beauté. Dénigrer le physique de quelqu’un, c’est aussi vouloir faire naître chez lui un sentiment d’insécurité. C’est s’en prendre à quelque chose sur lequel l'on n'a aucune emprise. Ni aucun mérite. L'auteure - compositeure - interprète Elodie Frégé, comme grand nombre de personnalité, a apporté son soutien à Hoshi dans un tweet très relayé :
"Oui mon Hoshi, effrayante tu l'es : de talent, de singularité, de liberté, de volonté, de poésie, de courage, d'amour pour ton art, d'intégrité, et tout ça ajoute encore de la beauté à la beauté que tu es dedans, dehors, envers et contre tous les 'Fabien Lecoeuvre'."
Le beau est lisse, parfait, esthétique, d’un ennui mortel quoi. Et Hoshi est tout sauf cela. Mathilde Gerner de son vrai nom, a été récompensée d'un disque de platine pour son titreTa Marinière, sorti en 2018, et de disques d'or pour ses single Je vous trouve un charme fou et Amour censure, tous deux parus en 2019. Mais Hoshi n'est pas juste extrêmement talentueuse, elle est aussi courageuse. En 2020, elle embrasse une femme sur la scène des 35e Victoires de la musique, à la fin de sa prestation sur son titre Amour censure, qui dénonce l'homophobie de la Manif pour tous en France. Suite à cet événement, elle sera obligée de porter plainte pour harcèlement et menaces de mort, après avoir été victime d'une vague d'insultes et commentaires lesbophobes sur les réseaux sociaux. Son agente Gia Martinelli, dénonce la violence de certains internautes en expliquant que certains sont allés jusqu'à "retrouver son adresse, menacé de la tuer, de faire du mal à sa famille et à ses fans."
Sois belle
Simple bourde ou acte révélateur d'un sexisme qui touche encore les artistes femmes ? Malheureusement le mal est encore profond. En 2021, certains estiment encore qu'il faut être belle pour faire carrière. Belle, oui, car cette discrimination concerne encore une fois principalement les femmes, patriarcat oblige. Un homme dont le physique ne rentre pas dans les canons de beauté aura généralement plus de chances de se faire accepter et d'être catégorisé "atypique" que son homologue féminine. D'ailleurs, au cours de leur carrière, de nombreuses stars et artistes se sont entendues dire qu'elles n'étaient pas assez jolies pour faire carrière dans le monde du cinéma, de la musique ou du mannequinat. Mais, grâce à leur force de caractère, elles ont prouvé le contraire.
La chanteuse Clara Luciani s'en prend directement à Fabien Lecoeuvre en lui rappelant que ce sont "les pin-up qu'on accroche aux murs pour faire joli, pas les artistes." Dans un post très relayé sur Instagram, la journaliste Fiona Schmidt explique que sa vie aurait sans doute été plus facile si elle avait eu un poster de Hoshi dans sa chambre, à la place de son poster de Vanessa Paradis. La journaliste pointe du doigt que si elle avait justement eu un poster de Hoshi dans sa chambre, elle aurait vécu dans une société où les femmes auraient été jugées sur ce qu’elles font et disent plutôt que sur ce qu’elles sont, et où la misogynie aurait été un souvenir, et pas la norme. Heureusement, si certains acteurs du monde de l'art ont encore quelques siècles de retard, le public, lui, est prêt et le succès est au rendez-vous.
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